Série Noire
. 1958-1986

IX, 1986
Huile sur toile 135 x 200cm

XXXVIII, 1985
Huile toile, 135 x 97 cm

Archive de l’artiste

Sans titre, 1987
Huile sur toile, 91 x 73 cm
« Je viens de passer une année à retirer tout ce qui fait un tableau,
le sujet, les couleurs etc.
Le noir. Je n’aime que lui. Seul la
découverte d’une forme avec le
noir m’intéresse. »
Le peu de chose qui reste dans les toiles, ces quelques signes, toujours
les mêmes qui peuplent mes feuilles de toiles en ce moment, je les
ressens en accord avec moi. Ce n’est peut-être pas grand-chose, mais
c’est inventé, mis en place, défini. […]
Tout ce travail porte sur la structure (toile brute, trait noir etc…) sur
les éléments composant ou décomposant du tableau. Tout compte, les
châssis, les clous, la toile brute, les signes élémentaires etc…. dans ce
processus de décomposition de l’acte de peindre. Un besoin de mettre
de l’ordre, de « ranger la maison ». […]
Le véritable intérêt de cette recherche est de favoriser l’apparition du
magique. Si cette base colorée est véritablement investie d’une émotion
et d’une décharge d’énergie vitale, elle porte en elle la naissance de la
forme et des quelques accents qui peuvent la conclure. […]
L’idée c’est de chercher sensiblement l’affirmation et non de la faire
précéder l’acte pictural, mais dans ce cas le danger de ne pas aller au
bout, le découragement, l’inquiétude etc ont vite fait de laminer une
vision, c’est sur cette angoisse de l’avenir que s’est construit le principe
de la série noire. […]
LES MACHINES DE L’ESPRIT
GERARD-GEORGES LE MAIRE
Catalogue de l’exposition «Série Noire»
Galerie Pascal Gabert, Paris, 1986
D’aucuns prophétisent le retour de la figuration, dans
tous ses états. D’autres proclament la permanence d’une
tradition néo-conceptuelle. D’autres encore annoncent
la réémergence de l’idéal formaliste abstrait et d’autres
enfin le regain d’une abstraction lyrique.
En somme, tous les modes d’expression qui ont fait
leur apparition en ce siècle et ont façonné la matrice de
l’aventure moderniste, semblent refaire brusquement
surface, et aucune d’entre elles ne donnent le sentiment
de devoir l’emporter et se cristalliser pour s’imposer et
s’emparer de l’imagination des hommes, même si l’on
s’ingénie à inventer des groupes, des tendances, des
courants qui ne sont en réalité que le fruit d’inventions
nostalgiques de la part de ceux qui éprouvent la nostalgie
de l’époque des avant-gardes.
En fait, le crépuscule de l’art moderne, que nous vivons
depuis quelques années, et dont nous sommes les acteurs,
a entraîné une relecture générale de cette ère dont tous
les principes sont remis en cause. Les artistes de notre
temps sont confrontés à la plus belle mais aussi la plus
cruelle liberté : celle de postuler un espace plastique qui
puisse puiser son inspiration de n’importe quel système
sémantique antérieur…
Pierre Zarcate est un de ces peintres qui a choisi
d’œuvrer, pour l’heure, dans le sens d’une recherche qui
tend à exclure la figure au profit d’un jeu rigoureux de
tensions chromatiques et de masses qui se superposent
et s’emboîtent, comme suspendus dans le vide de la
jouissance esthétique.
Bien qu’il ait renoncé à toute allusion, même elliptique, à
un quelconque système de représentation, il ne vise pas à
la fondation d’un espace de nature informelle. Son univers
est constitué d’extrapolations linéaires et des pièces d’une
complexe machinerie mentale se sont mystérieusement
arrêtés. Aussi froids et déterminés que puissent sembler
ces mécanismes précis, ils ont néanmoins, dans leur
dépouillement extrême, un pouvoir suggestif qui n’est
pas d’ordre analogique, mais n’en suppose pas moins
une circulation secrète du sens, dépassant la stricte
architecture du tableau.
En sorte que ces poids et que ces contre-poids aux larges
contours noirs se sont immobilisés dans un espace fictif
complètement raréfié pour marquer la formidable
et terrible harmonie du Temps qui préside aux
mélancoliques abstractions du peintre.
Paradoxale par excellence, cette spéculation néoconstructiviste se double en effet d’un sentiment
nostalgique : méditation sur l’économie géométrique
des années vingt, quand l’arpentage d’un territoire
abstrait était une œuvre à la fois iconoclaste et positive.
Audacieuse autant qu’insolente, l’entreprise de Pierre
Zarcate se métamorphose en une conscience aiguë des
limites théoriques de ce champ d’expérience.
L’émotion qu’on éprouve en contemplant chacune de ces
propositions plastiques naît de cette ambiguïté foncière
entre le désir de forcer les codes du langage pictural
et celui de déchiffrer et d’exalter une écriture de l’âge
d’or, à portée de main et pourtant déjà si loin de notre
sensibilité et de notre pensée. Ce contraste entre ces deux
aspirations contraires est le moteur de toute création
et prouve que la modernité est devenue un classicisme,
dans le sens fort du terme. Pierre Zarcate en témoigne.